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La Cour suprême rend une décision limitée dans l'affaire Warhol contre Goldsmith

Dernière mise à jour : 9 juin 2023

La Fondation Warhol a été condamnée par la Cour suprême au versement de droits d’auteur pour violation de la loi sur le copyright, mais la Cour a limité sa décision au simple aspect financier.


Couverture Vanity Fair où figure l'oeuvre Orange Prince
Andy Warhol, Orange Prince (1984), d'après une photographie de Lynn Goldsmith, couverture d'un magazine commémoratif du Condé Nast marquant la mort du musicien.

Dans une décision très attendue dans le monde de l’art, la Cour suprême américaine a modifié l’interprétation des tribunaux de la doctrine du « fair use » ou « usage équitable » en matière de droit d’auteur, dans une affaire opposant la Fondation Warhol et la photographe Lynn Goldsmith.


L’usage équitable est une exception au droit d’auteur américain qui permet à des tiers d’utiliser une œuvre protégée sans l’accord de l’auteur, sous la condition de valider quatre critères prévus par la loi sur le droit d’auteur, à savoir le but et la nature de l’utilisation ; la nature de l’œuvre protégée par le droit d’auteur ; la quantité et l’importance de la partie utilisée par rapport à l’œuvre protégée par le droit d’auteur dans son ensemble ; et l’effet de l’utilisation sur le marché potentiel ou la valeur de l’œuvre protégé par le droit d’auteur.


La Cour suprême américaine a déclaré que le fair use ne s’appliquait pas en l’espèce sur l’œuvre intitulée Orange Prince créée par Andy Warhol, car celle-ci n’avait pas généré une œuvre originale et avait une nature essentiellement commerciale. Il s’agissait de la première décision de la Cour suprême à aborder pleinement la doctrine de l’utilisation équitable du droit d’auteur depuis Campbell c. Acuff-Rose Music Inc. en 1984.


Une œuvre originale selon la Fondation Warhol

Andy Warhol (décédé en 1987) avait créé une série de 16 portraits de Prince en 1984, chacun basé sur une photographie inédite que Lynn Goldsmith avait prise en 1981 en mission pour Newsweek. Les illustrations de Warhol étaient elles-mêmes une commande de Vanity Fair qui a payé la photographe 400 dollars pour une utilisation unique de sa photo pour l’article Purple Fame.


Après la mort de Prince, en 2016, Vanity Fair publie une illustration différente de celle parue sur la couverture de 1984, intitulée Orange Prince. Lynn Goldsmith découvre alors les séries de Warhol et réclame des droits d’auteur sur cette nouvelle publication à la Fondation Warhol qui avait touché à l’époque 10 000 dollars comme frais de licence pour l’utilisation d’Orange Prince.


La Fondation refuse et en 2017, demande à la justice de déclarer que la série Prince n’enfreint pas le copyright, mais au contraire bénéficie du Fair Use. Le tribunal de district avait statué en faveur de la Fondation, déclarant que Warhol avait transformé la photographie de Goldsmith en lui donnant une nouvelle signification en tant qu’icône. Mais en mars 2021, la cour d’appel fédérale (équivalent de la Cour de cassation) a infirmé cette décision, insistant sur le fait que « le juge de district ne devrait pas assumer le rôle de critique d’art ».


Problème de licence

Considérant que Warhol a suffisamment modifié « le sens ou le message » de l’image de Lynn Goldsmith pour que ses œuvres bénéficient de la protection de l’usage équitable en tant qu’œuvres « transformatives », la Fondation Warhol a saisi la Cour suprême qui a confirmé le raisonnement de la cour d’appel fédérale.


La Cour a examiné les critères prévus par la loi fédérale sur le droit d’auteur pour déterminer si l’œuvre peut bénéficier de la protection de l’usage équitable, en se concentrant principalement sur l’utilisation de la licence en elle-même plutôt que sur l’utilisation créative de l’œuvre, et en se concentrant sur le premier critère, afin de déterminer si l’utilisation seconde avait un but ou un caractère différent.


Si les deux œuvres ont des finalités similaires et que l’utilisation seconde est de nature commerciale, alors l’œuvre est susceptible de ne pas bénéficier de la protection de l’usage équitable, « en l’absence d’une autre justification de la copie ». La Cour suprême, comme la cour d’appel, a estimé que l’utilisation équitable n’était pas applicable, car l’utilisation était de nature commerciale et similaire à l’utilisation de l’original de Lynn Goldsmith, tous deux servant à illustrer des articles sur Prince dans des magazines.


Elle a considéré que si l’œuvre de Warhol de 1984, Purple Prince, était « un commentaire artistique sur le consumérisme, un but orthogonal à la publicité de la soupe », ce n’est pas le cas d’Orange Prince qui n’a amené aucun « sens ou message nouveau » vis-à-vis de l’œuvre originale de Lynn Goldsmith.


Ainsi, par exemple, si la Fondation avait cherché à exposer l'image de Prince réalisée par Andy Warhol dans un musée à but non lucratif ou dans un livre à but lucratif commentant l'art du XXe siècle, l'objectif et le caractère de cette utilisation pourraient bien relever de l'usage loyal.


Une décision limitée

Cet arrêt vient tempérer l’abus du fair use puisque la Cour semble ainsi établir une nouvelle norme en exigeant une « justification impérieuse » lorsque les utilisations originales et secondaires partagent un objet et un caractère très similaires. Cependant, l’appréciation du fair use semble demeurer encore très large dans la mesure où la décision indique seulement aux tribunaux de tenir compte « d’indices objectifs du but et de la nature de l’utilisation ».


On peut également regretter que la Cour suprême ait limité sa position à cette seule licence, ne remettant pas en cause la légalité de la création de la série Prince par Andy Warhol en 1984, et ne répondant donc pas à la question de savoir quelle marge de manœuvre un artiste doit-il prendre lorsqu’il utilise des œuvres préexistantes.


En n’allant pas jusqu’à l’interdiction, cette décision permet d’esquisser un équilibre entre droit d’auteur de l’un et liberté de création de l’autre. En effet, cette décision cantonne le droit à la rémunération, là où, en France, l’œuvre seconde aurait été taxée de contrefaçon et susceptible d’être interdite. Des artistes ayant repris dans leurs œuvres des photos sans autorisation ont tenté en vain d’invoquer en défense leur liberté d’expression, à l’instar de Peter Klasen condamné en 2018 et Jeff Koons condamné en 2019 et 2021.


Cette décision survient quelques jours seulement après qu’un tribunal a statué que deux poursuites contre l’artiste Richard Prince pouvaient être intentées au motif que l’artiste n’avait pas fourni suffisamment de preuves pour prouver que sa série New Portraits avait suffisamment transformé deux des photographies qu’il s’était approprié, une affaire qui permettra peut-être de savoir si le droit américain tend vers un encadrement plus strict de l’appropriation dans l’art.

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